Lettres Dangereuses entraînent des relations dangereuses

Après son "accident de travail", Romilly avait vérifié que la lettre qu'elle possédait avait bien été transmise à son destinataire. Elle avait pris soin de recopier les accusations et de conserver l'original, afin d'éviter tout malentendu ... et problèmes futurs. Elle avait joint à cela une lettre écrite par elle-même qui invitait le destinataire à la rejoindre dans la Galerie des Arcades le jour-même. Elle s'était aussi amusée à glisser du parfum et quelques pétales de roses dans l'enveloppe, pour qu'il sache qu'elle était une femme. Pas pour le séduire, mais plutôt pour l'appâter et lui faire comprendre qu'une femme pouvait être son égale. Ce qu'elle savait du Cardinal l'incitait grandement à le poser d'entrée de jeu.
Elle s'était soigneusement préparée. Tout d'abord, elle avait enduit sa jambe blessée de baume, et l'avait pansée soigneusement, bien serré pour que la blessure ne se rouvre pas, et ne la gêne pas non plus. Ensuite, ses sous-vêtements avaient été conçus pour qu'elle puisse dissimuler quelques armes sur elle; facilement accessibles par une coupe savante de ses jupes et jupons. Très élégante, dans une robe d'un bleu profond, elle avait opté pour des bottines confortables qui ne l'empêcheraient pas de courir si besoin.
Enfin, la coiffure. Elle releva ses boucles d'une manière très simple, et se maquilla très joliment. Mais cela ne se verrait pas: elle choisit ensuite une voilette assez épaisse pour qu'on ne puisse voir son visage alors qu'elle même pouvait tout observer.
Enfin prête, elle s'aspergea du même parfum que celui dans la lettre, et sortit.

Elle traversa les couloirs et les jardins d'un pas nonchalant: elle pouvait faire attendre son débiteur. Au passage, elle cueillit une rose qu'elle effeuilla, et dont elle ne garda qu'une seule épine, juste sous la fleur. Elle la garda en main, comme un signe de reconnaissance.
Enfin, elle arriva aux Arcades. Et le vit immédiatement.

Le Cardinal avait gardé ses robes pourpres, et il arpentait nerveusement la galerie. Puis il s'arrêta et lu quelque chose - la lettre de Romilly, bien évidemment. Cette dernière sourit, d'un rictus de prédateur, derrière son voile. Et le laissa attendre encore.
Quand il fut quinze heures dépassée de dix minutes, elle s'avança enfin vers sa proie.
D'une voix légèrement rauque, et chaude, elle demanda, discrètement:

" Monseigneur? Vous m'attendiez, je crois? "

Elle jouait avec la rose, et savait que son parfum allait rappeler son bon souvenir à l'ecclésiastique.

" Je ne cherche pas à vous détruire, moi, mais j'ai certaines informations qui, me semble-t-il, vous intéresseront. "

Invisible derrière le tissu, Romilly goûtait à ce sentiment de puissance comme à un nectar mais ne perdait pas ses objectifs de vue.

" Préférez-vous discuter ici, ou cherchons-nous un endroit plus discret? "

Le Cardinal vit enfin arriver une femme voilée, qui marchait avec une certaine négligence, une rose dépiautée à la main. Dès qu'il fut sûr que c'était la personne qu'il attendait, il essaya de la détailler afin de pouvoir déceler une quelconque faiblesse qui lui permettrait de reprendre l'avantage. La femme était habillée avec soin, et elle avait une démarche posée, mais volontaire. Elle savait où elle allait, et n'avait pas de contraintes de temps. Elle ne portait pas d'ombrelles, et sa robe présentait quelques différences par rapport aux autres dames de la cour, bien que Narcisse de Thérould fut incapable de déterminer exactement lesquelles. Cette femme n'était donc pas tout à fait une commère de luxe, et cachaient de nombreuses choses. Et la rose dépiautée indiquait un esprit assez retors, pour utiliser ce genre de détails pour se faire reconna. En somme, le Cardinal ne pourrait pas lui rentrer dedans et l'encorner en un seul mouvement.


" Monseigneur? Vous m'attendiez, je crois? " *Voix assez grave pour une femme. Signe de virilité?*
"Je le pense aussi, Madame."
" Je ne cherche pas à vous détruire, moi, mais j'ai certaines informations qui, me semble-t-il, vous intéresseront. "

Cela changeait tout. A priori, la femme n'était pas aussi maléfique que le Cardinal ne le pensait, ou alors elle avait des objectifs plus poussé que la simple nuisance. Cette dernière idée passa fort désagréablement chez le Cardinal. Malheureusement pour l'instant, ce n'était pas lui qui avait l'initiative. Il était complètement à la merci de cette créature. Mais elle n'avait pas encore gagné, et le Cardinal avait déjà triomphé de bien pire. Il retint un sourire carnassier. Bien sûr qu'elle était en position de force, mais la proie était grosse, et on ne vend jamais les ours avant de les avoir tué...


" Préférez-vous discuter ici, ou cherchons-nous un endroit plus discret? "
"Ma foi, discuter ici est possible, mais je préférais discuter avec vous assis, à tête reposée. Accepteriez vous de me suivre dans les jardins? Il y a des bancs forts agréables."

Faire semblant de maîtriser était souvent la clé des renversements de situations. En faisant semblant de ne pas avoir peur, le Cardinal espérait ainsi se ménager des portes de sorties. Mais tout dépendait des talents d'intrigantes de ce qu'il y avait en face...

Le Cardinal était méfiant envers elle, mais quelque chose lui disait qu'il était très confiant en lui-même, et que s'il ressentait quelque chose à ce moment précis, ça n'était pas de la peur, mais de la colère et peut-être de la curiosité. Cela lui plut, et elle examina mentalement, en quelques quarts de secondes, les indices qu'elle avait: il ne l'avait pas saluée, il l'avait observée, et il acceptait de la suivre bien qu'en croyant être le maître de la situation en choisissant leur lieu de discussion... mais elle l'avait prévu, et n'y porta pas une grande attention, extérieurement.
Elle acquiesça simplement, et posa sa main sur le bras du religieux. Elle la fit volontairement ferme, mais douce, à l'inverse de la mollesse des dindes endimanchées habituées à fréquenter les Jardins pour regarnir leur lit délaissé par leur mari.
Elle commença à parler alors qu'ils marchaient encore. Elle ne regardait pas son compagnon, et sa voix était juste assez forte pour qu'il l'entende - mais lui seul:

" Vous êtes puissant, et donc vous n'avez pas que des amis. Un de vos ennemis est mort récemment, et il portait sur lui l'original de ce que je vous ai fait parvenir. Il n'a pas eu le temps de la remettre à quelqu'un de plus ... puissant. J'ai eu accès à cette lettre; et j'ai préféré vous prévenir que vous êtiez... découvert si on peut dire. Je ne suis pas de vos ennemies... pour le moment."

Elle fit une pause, qui insista sur le "pour le moment", montrant qu'elle n'était pas naïve et innocente, et qu'elle aussi pouvait être puissante et dangereuse. Mais cela montrait aussi que, pour le moment, il n'avait rien à craindre d'elle, tant qu'elle ne craignait rien.
Elle lui laissa à peine le temps de réagir, et dit:

" Je serais directe: je resterai discrète et muette, si vous me rendez quelques services. Ils ne sont pas compromettants, normalement. En tout cas si vous même êtes discret. "

Enfin un banc. Elle lâcha le Cardinal et s'assit. Derrière sa voilette, seuls ses yeux étaient visibles, et brillaient. Les complots et le pouvoir, quelle jouissance!
A lui de réagir, désormais, et elle était presque sûre de savoir ce qu'il pouvait bien dire ensuite.

La demoiselle accepta, et s'accrocha à son bras. Laissant de côté le côté gênant de cette situation, le Cardinal se concentra sur l'essentiel et nota que la prise de la femme était ferme. Un élément de plus qui prouvait qu'elle n'était pas une poule de luxe. Elle prit la parole et lui dit alors:

" Vous êtes puissant, et donc vous n'avez pas que des amis. Un de vos ennemis est mort récemment, et il portait sur lui l'original de ce que je vous ai fait parvenir. Il n'a pas eu le temps de la remettre à quelqu'un de plus ... puissant. J'ai eu accès à cette lettre; et j'ai préféré vous prévenir que vous êtiez... découvert si on peut dire. Je ne suis pas de vos ennemies... pour le moment."

Les éléments qu'elle rapportaient étaient importants. Il était évident qu'il n'avait pas des amis partout et à vrai dire le contraire aurait été réellement surprenant. Mais ça, c'était quelque chose de plus organisé. Si un complot était en cours contre lui, et qu'il était basé sur une fausse accusation dans le genre de celle qu'il avait lu, il y avait de grandes chances que celui ci fasse beaucoup de mal au Cardinal. Cette femme n'était donc pas encore à classer dans la catégorie des ennemies, du moins pas à l'heure actuelle. En revanche, elle était dangereusement indépendante, à surveiller.

" Je serais directe: je resterai discrète et muette, si vous me rendez quelques services. Ils ne sont pas compromettants, normalement. En tout cas si vous même êtes discret. "

Et paf. Bien sûr, Narcisse de Thérould savait que son interlocutrice n'avait pas grand chose à voir avec une bonne samaritaine, mais le marché le laissait un peu perplexe: S'il refusait, ce serait elle même qui l'accuserait. S'il acceptais, elle le laissait seul face au danger.

"Puis je réellement refuser? C'est d'accord, mais permettez moi de poser une condition: je veux savoir sur qui vous avez retrouvé cette lettre, et à qui il était lié. Si vous acceptez de me donner cette petite information, vous pourrez me décrire ce que vous attendez de moi. En somme, service contre service."

Le cardinal semblait être homme à analyser chacun des mots, et chacunes des inflexions de ses interlocuteurs. Romilly savait se maîtriser, et ne laissa paraître que ce qu'elle voulait qu'il comprenne. Elle savait aussi qu'il s'interrogeait sur la portée de ses paroles, et celle de ses actes - et qu'il réfléchissait pour savoir quel ennemi avait tant d'informations sur lui.
Il voulut ensuite poser ses propres conditions, et Romilly éclata d'un rire léger.


" Vous n'êtes pas vraiment en position de négocier, cher ami. C'est soit le service que je vous demande, soit je dévoile cette lettre à qui de droit et cela remontera aux oreilles du Roi. "

Elle était amusée de l'arrogance de l'écclésiastique qui ne semblait pas démonté pour autant. Certes il avait dû rager et tempêter, mais devant elle, rien n'y paraissait.
Si elle devait s'en faire un ennemi, il serait dangereux. C'est pourquoi elle ne lui laissa pas le temps de répondre, et elle ajouta:

" Alors je ne vous dirais pas à qui la personne qui portait cette lettre était liée directement, je vous laisserais faire vos propres conclusions. D'accord?"

La question était de pure forme: à part le nom de sa victime, elle ne donnerait que des indices, pas des informations en bonne et dûe forme.
Elle eut un nouveau sourire:

" Le vicomte de Blaysi portait cette lettre. Il sortait de chez son amante, au fait, la Demoiselle de Chais. Mais ni l'un ni l'autre ne parleront maintenant."

Elle ne précisa pas que l'un était mort, et que l'autre tremblait désormais de peur pour sa vie. Il ne connaissait pas Romilly la mercenaire, simplement Romilly de Würtemberg, mais il supposerait sans doute qu'un assassin avait été engagé.
Les deux nobles qu'elle venait de citer étaient peu influents à la Cour, mais étaient liés à la quasi totalité des complots de couloirs. Le Cardinal ne pouvait donc que s'inquièter de lequel de ses ennemis était censé recevoir la missive - et se réjouir qu'elle ne l'ai pas atteint.

Beaucoup plus sérieuse, désormais, Romilly regarda son interlocuteur:

" Le service que je vais vous demander est assez simple. En fait, il est double mais lié. J'aimerais que vous retrouviez pour moi une pieuse gitane du nom d'Esméralda. Et je voudrais aussi que vous m'aidiez à rencontrer cette demoiselle, ou votre Courtisane - Luela, lorsque l'occasion se présentera. J'ai certains intérêts avec elles à préserver. "

Bon, pour Esméralda, tout n'était pas vrai, et tout n'était pas dit - mais il n'avait pas à le savoir. Pour Luela, puisque rencontrer l'indomptable semblait difficile sans relation, Romilly espérait que la Courtisane puisse l'aider. Les finances n'étaient pas un problème.
Sans doute que le Cardinal allait se poser de nombreuses questions, mais la jeune femme n'était pas d'humeur à expliquer ses raisons plus avant.